Raymond Gurême, 2010
(photo Jean Baptiste Pellerin)
À 85 ans et jusqu’à son décès le 24 mai 2020, Raymond sera l’infatigable et courageux combattant qu’il a été toute sa vie.
Il consacre ses dix dernières années à divulguer son histoire, celle de sa famille et de tous ceux qui n’ont pas pu parler ou que l’on a pas écoutés, plus de 6500 Tsiganes, Gens du Voyage internés arbitrairement dans une trentaine de camps en France.
Sa vitalité, son enthousiasme, son empathie étonnent tous ses interlocuteurs. Ses souvenirs douloureux qu’il doit redire au fil du temps, n’ont jamais fait place à l’amertume, mais bien plutôt à une soif toujours renouvelée de rencontres. Sa gouaille, les traits d’humour dont il emmaille son récit et les pirouettes verbales du petit clown qui vit toujours en lui, lui attachent un auditoire attentif et un cercle d’amis de tous âges et de tous horizons.

Ses prises de paroles sont claires et tranchantes. Il se bat pour la reconnaissance du sort des nomades pendant la guerre et la reconnaissance de leur internement par les autorités françaises. Il ne le répétera jamais assez « ce sont bien les autorités françaises qui nous ont mis dans les camps ».

Il se bat pour dénoncer la situation actuelle des Gens du voyage et des Roms soumis, aujourd’hui comme hier, à des discriminations et à un racisme systémique.

Il se bat contre toutes les injustices dont sont victimes les pauvres, les laissés pour compte.

Il se bat contre les violences policières, lui qui dans sa quatre-vingt-neuvième année a été victime de la brutalité des forces de l’ordre, effectuant une perquisition musclée sur son terrain. Il rejoint les comités de lutte et devient président d’honneur de l’association la Voix des Rroms.

Pour mettre en œuvre sa volonté de transmettre, il ne compte ni les kilomètres ni sa fatigue et se rend aux quatre coins de la France et de l’Europe pour témoigner. Transmettre à travers son récit, sa volonté de ne pas se soumettre, à ne pas accepter les chaines, à « rester debout », sa force de vie et de liberté. Transmettre surtout aux jeunes dans les écoles primaires, les collèges, les lycées. Il répond à toutes les invitations des associations, instances politiques nationales et européennes.

En 2014, il se rend pour la première fois aux rencontres « DIKH E NA BISTER » organisées par les associations de jeunesse roms, pour commémorer le génocide des Roms au camp d’Auschwitz le 2 Août 1944. Il devient pour ces jeunes activistes mobilisés par les questions de mémoire et de lutte contre l’antitsiganisme, un modèle de combativité et d’altruisme et chaque été jusqu’en 2019, Raymond sera présent parmi eux.
Il faut toujours
rester debout,
jamais à genoux
répétait-il inlassablement.
C’est ainsi qu’il a vécu,
c’est ainsi que nous nous
souviendrons de lui,
en nous efforçant de
perpétuer son message
et de le traduire en actes.
ill. Anna Rabko- HappyBorders
Comme tous les ans, le 16 mai 2020, Raymond est devant la Basilique Saint Denis pour marquer la journée de la Résistance Romani.

Quelques jours plus tard, le 24 mai, à l’aube de sa quatre-vingt quinzième année, il s’éteint, entouré de sa famille.

A l’annonce de son décès des témoignages d’amitiés affluent du monde entier.

Q

« Debout avec Raymond » Evelyne Pommerat, Maissoun Zeineddine, 2021, 3.30min

Raymond Gurême, 2019 (photo Adèle Mauduit)
C’est le message que Raymond s’est efforcé de transmettre à la jeunesse du monde entier. Résister à tout prix, ne jamais se résigner, ne jamais se taire face aux injustices. Prendre la parole, pour éviter l’engrenage de la violence.
Aurélien Dru,
collège Marie Curie d’Etampes, 2012 :
« Mr Gurême nous a fait un témoignage touchant. L’année où il fut déporté, il avait 15 ans, c’est-à-dire notre âge. Je ne sais pas si beaucoup d’entre nous auraient fait preuve d’autant de courage que lui et se seraient évadés 8 fois, dont une évasion d’Allemagne. Son témoignage m’a en tous cas, bien fait réfléchir sur les conditions de vie des Gens du voyage, j’espère qu’il aura fait réfléchir beaucoup d’autres personnes et qu’un jour le gouvernement pourra améliorer ces conditions de vie.(…) »
Quentin Roussel,
Ecole des Courses hippiques de Graignes,
mai 2020 :
« Je suis en classe de 1ère. L’année dernière, grâce à mes professeurs, j’ai rencontré une personne qui avait un énorme cœur et un état d’esprit exceptionnel. Mr Gurême était un homme très intelligent et très courageux.(..) Monsieur Gurême, votre mémoire sera toujours présente et sert de modèle à beaucoup d’entre nous »
Discours de Raymond Gurême,
le 2 Août 2016, lors de la commémoration
du génocide des « Tsiganes »
au camp d’Auschwitz-Birkenau
Voilà. J’ai 91 ans. J’ai vécu mes quinze premières années dans le cirque familial. J’étais clown, acrobate et manœuvre projectionniste. Un matin d’octobre 1940, deux policiers français embarquèrent mon père, sa famille, son cirque et son cinéma.[..]

De tous les lieux dans lesquels on a essayé de m’enfermer, je me suis enfui. Six fois pendant cette guerre : du camp d’internement de Linas, des camps où je fus déporté en Allemagne, d’un centre de détention pour jeunes à Angers… Fuir, être libre à tout prix, ce fut ma manière à moi de résister.

La résistance, je l’ai rencontrée à plusieurs reprises durant ma vie vagabonde. D’abord, à Angers où je rencontre un résistant hospitalisé qui me confie sa mission : voler un camion de nourriture aux SS pour le livrer à la Résistance. Arrêté, je suis transféré en tant que terroriste dans une prison allemande à Troyes puis déporté dans deux camps disciplinaires et de travail vers Francfort. Ce sont des cheminots résistants qui me permettront de m’enfuir d’Allemagne, caché dans la soute à charbon d’une locomotive à vapeur.

Mon devoir était de rejoindre la résistance pour finir le combat. J’ai côtoyé la mort bien souvent. Je sais que j’étais sur la liste de ceux qui ont terminé leur vie à Auschwitz.

Mon témoignage est pour la jeunesse. Ne laissez pas votre avenir entre les mains des guignols.

Il faut résister. Il faut résister aux discriminations, au racisme, aux expulsions violentes dont sont victimes les Roms et les Voyageurs dans tous les pays d’Europe.

Nous les anciens, nous avons allumé la flamme. Maintenant c’est aux jeunes de l’alimenter et de la faire grandir pour que nous soyons plus forts. Les jeunes levez-vous. Restez debouts, jamais à genoux !

Raymond Gurême

Regarde
et n’oublie pas
(Dikh e na bister)
Dikh e na bister 2018 (photo Ludovic Versace)
Le réseau ternYpe (réseau européen rom d’associations de jeunesse) est à l’initiative des rencontres internationales autour du génocide des « Tsiganes » du 2 Août 1944, organisées chaque année, à Cracovie et au camp d’Auschwitz-Birkenau.
Depuis 2013, l’association « La voix des Rroms », organise le voyage de groupes de jeunes depuis la France. Pendant 6 années consécutives Raymond Gurême, les a accompagnés et a participé activement aux ateliers sur la mémoire et la lutte contre toutes les formes de racisme et de discriminations.
Les Tsiganes furent persécutés
par le régime nazi et ses alliés
dans toute l’Europe.
Les Tsiganes subirent l’internement, le travail forcé et la déportation dans les camps de concentration et d’extermination. Les « Einsatzgruppen » (groupes d’intervention) assassinèrent des dizaines de milliers de Tsiganes dans les territoires de l’Est occupés par les Allemands. Les nazis incarcérèrent des milliers de Tsiganes dans les camps de concentration de Bergen-Belsen, Sachsenhausen, Buchenwald, Dachau, Mauthausen et Ravensbrück.

Des milliers d’entre eux furent tués dans les camps d’extermination de Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka et Auschwitz-Birkenau. Bien que des chiffres exacts ou des pourcentages ne puissent pas être vérifiés, les historiens estiment que les Allemands et leurs alliés auraient exterminé de 40 à 90% (selon les régions) de la population tsigane européenne.

Le « camp de familles » (Familienlager) ou « camp tsigane » (Zigeunerlager) d’Auschwitz-Birkenau, ouvert en 1942, regroupaient 20 000 personnes. Le médecin chef d’Auschwitz, le docteur Mengele, y procéda à des expérimentations pseudo-médicales, notamment sur des enfants tsiganes marqués du sigle « matériel de guerre ».

Les Tsiganes constituaient une « population-test » pour l’hygiène raciale dont le but était d’éliminer les races inférieures. En mai 1944, les Allemands décidèrent de liquider le « camp tsigane » d’Auschwitz. Alors que les SS l’entouraient, ils trouvèrent face à eux des personnes armées de barres de fer et prêtes à se battre. Les Allemands reculèrent et reportèrent la liquidation. Celle-ci eut lieu le 2 août 1944, nuit pendant laquelle 3 000 Tsiganes furent exterminés. Sur les 23 000 Tsiganes déportés à Auschwitz 19 000 périrent.

En 2016
en France,
70 ans après la libération
des derniers camps un hommage national est
enfin rendu aux nomades internés et à leurs familles
« Ce jour est venu et il fallait que cette vérité fût dite au plus haut niveau de l’Etat : la République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame. » (François Hollande)
Le 29 octobre 2016, sur le site de l’ancien camp d’internement de Montreuil-Bellay, François Hollande, Président de la République a rendu un hommage national, longuement attendu, aux nomades internés en France de 1940 à 1946.

Devant les survivants et leurs familles présents sur les vestiges du camp, le président a ouvert son discours avec ces mots : « Aujourd’hui à Montreuil-Bellay, la France se souvient d’un drame, d’un drame terrible qui a été ignoré, oublié, refoulé pendant trop longtemps et qu’il était nécessaire d’évoquer pour réparer une injustice.».

À cette occasion, le Président annonce la volonté du gouvernement d’abroger la loi du 3 janvier 1969, dans le cadre du projet de loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, pour mettre fin au régime discriminatoire des Gens du Voyage. (Cette abrogation sera effective par la promulgation de la loi du 27 janvier 2017).

Le discours de François Hollande se concluait par ses mots :
« S’il y a un message que nous devons garder de cette journée, c’est bien sûr la reconnaissance d’une mémoire qui a été blessée, ignorée, refoulée qui rejoint aujourd’hui la mémoire nationale. C’est le souvenir de celles et ceux qui ont été retenus dans tous ces camps et qui, aujourd’hui par les descendants qui sont ici, retrouvent réparation et fierté. Mais ce que nous devons surtout transmettre à tous ceux qui nous suivront, c’est d’être toujours vigilant, d’être toujours prêt à mener le combat pour la liberté, à toujours défendre la dignité humaine et la liberté. »

Ce message de vigilance à l’égard « de populations qui peuvent être humiliées, stigmatisées, exclues » reste de parfaite actualité. Trop souvent encore ces citoyens français à qui l’on rendait hommage ce 29 octobre 2016 à Montreuil-Bellay, sont victimes de discriminations, d’exclusion ou de racisme, y compris de la part d’élus de la République.