Violette et René-Lucien

Violette, René-Lucien Gurême
(Archives familiales)

Lucien est l’aîné de la fratrie Gurême-Leroux. Sur ses papiers il porte le prénom de René mais il est Lucien pour sa famille. C’est avec lui que Raymond a tenté sa première évasion du camp de Linas avant qu’ils ne soient ramenés tous les deux par les gendarmes.
En avril 1942, les internés de Linas sont transférés au camp de Mulsanne.

René-Lucien fait l’école aux enfants. Parmi eux se trouve Violette Vanhasebroecke et sa famille. Bien que titulaires d’un carnet forain et vivant en maison, ils ont été raflés en Bretagne, enchaînés et conduits à Châteaubriant, puis au camp de la Forge à Moisdon-la-Rivière. Des mois terribles dans le froid, les corps tenaillés par la faim et soumis aux mauvais traitements.

Violette est une jeune fille malicieuse et turbulente qui donne du fil à retordre à son instituteur. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car plus tard ils se marieront et auront beaucoup d’enfants !

Après le camp de Mulsanne les internés sont conduits à Montreuil Bellay, « le pire des camps » dira Violette.

Ils sont affamés, en proie aux maladies, à la dureté des gardiens et aussi des religieuses censées apporter leur assistance aux internés. Le père de Violette et son petit frère ont trouvé la mort dans les camps et deux de ses frères sont décédés peu après leur sortie, suite aux privations et aux mauvais traitements. Comme nombres d’internés, Violette fait des séjours au « gnouf » la prison du camp de Montreuil.

Fin 1943,
René-Lucien réussit à faire
sortir sa famille puis

la famille de Violette.

Violette et René -Lucien (René) Gurême posent à coté du « gnouf » (prison)
du camp de Montreuil Bellay, 1957 (Archives familiales)

En septembre 1943, grâce à des faux papiers, il parvient à faire sortir ses parents et ses frères et sœurs. Il revient des mois plus tard pour libérer Violette et sa famille. À la faveur d’un bombardement, il coupe les fils barbelés. La maman de Violette qui est veuve s’enfuit avec ses enfants. Ils errent dans les bois, la peur au ventre, n’osant demander leur chemin craignant d’être dénoncés et ramenés au camp, à coups de fourches. « Fallait qu’on se cache dit Violette, encore pire des Français que des Allemands ».

Violette retrouve René-Lucien en Belgique, mais les ennuis ne sont pas finis car ils sont « vendus » aux Allemands et doivent prendre la fuite à nouveau pour échapper à la déportation.

Tout comme Raymond, René-Lucien était tenaillé par la volonté de « faire savoir ». Décédé en 2008, il n’a pas eu le temps d’accomplir sa mission et c’est Violette qui quelques années plus tard, prend la relève dans le film documentaire : Internement des familles “nomades” dans les camps de 1940 à 1946.

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Le récit de Violette. Propos recueillis par Evelyne Pommerat. 2016

« Tsiganes, une mémoire française 1940-1946 »,
Kkrist Mirror, ed.Steinkis, 2016
Résistances
« Notre rôle dans la Résistance a été ignoré, alors que j’avais croisé beaucoup de voyageurs dans la clandestinité des combats en 1944 et 1945 déclarait Raymond Gurême à la journaliste Isabelle Ligner en août 2014. Même si nous ne nous donnions ni nos noms, ni nos sobriquets de voyageurs, nous nous reconnaissions d’instinct. Je n’en veux pas à la France qui est mon seul pays, mais j’en veux aux politiciens qui ne reconnaissent jamais les rôles positifs qu’on a pu jouer et nous traînent dans la boue. »
Comme l’a montré l’historienne Lise Foisneau, les Voyageurs réussirent à mettre en place des réseaux de solidarité, d’évasions et, dans de nombreux cas, à participer à la résistance armée.

A l’intérieur des camps, les nomades ne sont pas restés passifs ou résignés à leur sort : les archives révèlent de nombreux actes de protestations, de rebellions et de plans d’émeutes. Dans ces mouvements de révoltes, individuels ou collectifs, il faut noter le rôle joué par les femmes : Angèle Siegler, 20 ans en 1941, enfermée dans le camp de concentration de Choisel (Loire-Atlantique) lance un cri de révolte :
« Vous avez le sang pourri, tas de vaches ! Nous ferons une révolution dans le camp et je m’en fous d’attraper dix ans de bagne ! » Angèle, Violette, Henriette et toutes les autres, à l’instar de leurs hommes, de leurs pères et de leurs frères, connurent le « gnouf », autrement dit les terribles prisons des camps, pour sanctionner leurs actes de révoltes ou d’évasions.

Dans certains cas, les tentatives de fuites ont pu réussir grâce à une aide extérieure et leur caractère systématique à certaines périodes pourrait indiquer que les nomades s’organisaient en réseau. Au titre de la solidarité, il faut noter également que certaines familles ayant pu échapper à l’internement apportaient de la nourriture aux internés à travers les barbelés comme Raymond au camp de Linas-Montlhéry et de Montreuil Bellay.
Le père Jean Fleury, aumônier du « camp de gitans de la route de Limoges » à Poitiers en 1942, a bénéficié à plusieurs reprises de l’aide des Tsiganes internés pour détourner l’attention des gardiens et pénétrer dans la partie du camp où étaient enfermées les familles juives. Il parvint ainsi à sauver de nombreuses personnes, notamment des enfants. Le père Fleury fut le premier en France à être nommé « Juste parmi les Nations » et il citera souvent le soutien des Tsiganes comme un élément crucial de son action.

Nombreux à s’opposer au STO mis en place par l’occupant pour recruter des Français dans le cadre de Service du Travail Obligatoire en Allemagne, beaucoup d’hommes parmi les Voyageurs ont rejoint le maquis autour de leurs lieux de résidence. Les témoignages directs nous manquent pour décrire précisément leurs actions au sein de la Résistance. On peut comprendre que les « nomades » et les forains si mal traités par leur patrie, depuis le début du siècle et pendant les deux guerres, n’ont pas revendiqué la reconnaissance de leurs actes de bravoure auprès d’autorités dont ils avaient appris à se méfier. La plupart du temps, ces récits sont restés au sein des familles. C’est un patient travail d’enquêtes et de recherches dans les archives départementales, qui permet de les reconstituer.*Le témoignage de Raymond Gurême n’en est que plus précieux.

*Lise Foisneau, Valentin Merlin. French Nomads’ Resistance (1939-1946)
Tom Lantos Institute, p. 57-101., 2018.
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« Voix résistantes - Raymond Gurême » entretien Pierre Chopinaud, Images Ludovic Versace, le 6 mars 2018 à Saint Germain les Arpajon, 10 min.

« Montreuil-Bellay un camp pour individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani »
1800 « nomades » furent internés dans le camp de Montreuil-Bellay considéré comme ayant été le plus important de France. Du 8 novembre 1941 au 16 janvier 1945, la France en fait un camp de concentration, selon la terminologie de l’époque, pour «individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani», ce qui indique le caractère raciste de la mesure. Ces Tsiganes, par familles entières, viennent d’une multitude de petits camps ouverts suite à l’ordonnance du 4 octobre. L’effectif maximum fut atteint en août 1942 avec 1096 internés. Sont aussi internés des clochards arrêtés dans les rues de Nantes au début de l’été 1942. Jusqu’en février 1943, tous sont gardés par des gendarmes puis, par la suite des jeunes gens de la région qui échappent ainsi à la Relève Forcée et au STO (Service du Travail Obligatoire) en France et viennent renforcer les effectifs.

Les internés furent victimes des difficiles conditions de vie à l’intérieur du camp qu’aggravent une nourriture toujours insuffisante et de peu de valeur énergétique, ainsi qu’une hygiène déplorable. La mortalité touche principalement les personnes âgées et les nouveau-nés que ne peuvent suffisamment nourrir des mères elles-mêmes sous-alimentées. Les bombardements alliés de juin et juillet 1944 noircissent encore le tableau. Les Tsiganes quittent Montreuil le 16 janvier 1945.

Ils sont alors transférés dans les camps de Jargeau (Loiret) et d’Angoulême (Charente) où certains sont restés jusqu’en… mai 1946.

Une stèle rappelant ces évènements a été inaugurée sur le site du camp le 16 janvier 1988. Ce fut la première en France pour un ancien camp de « nomades ». Les autorités sollicitées pour participer à son financement ont alors toutes refusé.

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« Montreuil-Bellay, un camp Tsigane oublié », France, LCP, Alexandre Fronty, Zoulou compagnie Production, 2012, 52 min.

Le cas des Tsiganes
français déportés
Parmi les Tsiganes recensés à Auschwitz, 145 Français ont pu être identifiés, tous arrivés au camp par le convoi Z de janvier 1944. Des arrestations massives sur ordre d’Himmler ont eu lieu à partir d’octobre 1943 en Belgique et dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais (ces deux départements étant rattachés au Gouvernement militaire de la Belgique). Des familles entières furent raflées puis conduites à la caserne Dossin à Malines, en Belgique, d’où elles furent déportées vers Auschwitz.

Le 15 janvier 1944 le convoi Z quitta Malines avec 351 Tsiganes de diverses nationalités, capturés en France en Belgique et en Hollande. De ce convoi Z, seule une dizaine de rescapés est rentrée à la fin de la guerre.

Une autre situation attestée par des témoignages de survivants concerne la déportation de Tsiganes, du camp de Poitiers, un groupe d’hommes transférés vers des camps de travail allemands. 64 d’entre eux ont été déportés à Sachsenhausen et 23 à Buchenwald.

Des Tsiganes internés à Saliers ont également été déportés en Allemagne. Le 21 juillet 1943, le secrétaire général à la police de Vichy informe les préfets régionaux de la zone sud que « les nomades dangereux doivent être dirigés, les hommes sur Fort-Barraux (Isère) et les femmes sur Brens (Tarn) ». Les Tsiganes de Fort-Barraux déportés en Allemagne dans le convoi du 22 juin 1944 sont au nombre de six.

Contrairement à ce qui se passa dans d’autres territoires occupés, les Allemands ne donnèrent jamais l’ordre de déporter les Tsiganes internés en France. Il n’y eut donc pas de déportation de masse, mais des Tsiganes ont bien été déportés individuellement pour d’autres motifs, arrestations arbitraires de l’occupant allemand, déportations dans le cadre du travail forcé ou faits de résistance.